Les premières bases législatives : 1928 - 1939
Le 7 mars 1928, le député socialiste du Nord, Monsieur Ernest Couteaux, maire de Saint-Amand-les-Eaux, dépose une proposition de loi visant à l’institution d’un Ordre des Médecins et la création de chambres médicales départementales et régionales :
Les chambres départementales des médecins seraient dirigées par un conseil élu chargé de dresser le tableau de l’Ordre et d’assurer la discipline ; un appel est prévu à l’échelon régional au chef-lieu d’Académie. Pour le député du Nord, s’inquiétant d’une vague d’immoralité qui monte parmi les médecins, « la création d’un Ordre des médecins assainirait la profession et relèverait son niveau moral… L’Académie de médecine ou la Faculté n’accepteraient qu’avec ennui le moindre contrôle sur la profession »
A cette proposition, non encore discutée à la Chambre des Députés, s’associe le 28 novembre 1928 une proposition identique à celle du député Couteaux, émanant de cinq députés, dits de droite, dénonçant « les brebis galeuses qui risquent de jeter un discrédit troublant sur la profession ».
Entre temps, le 5 avril 1928 l’écrivain Paul Bourget écrivait dans le Figaro : « une seule mesure, parmi celles que l’Etat peut prendre, garantirait la profession médicale contre tous les abus : la reconnaissance d’un Ordre des médecins »
Le 5 mars 1929, Monsieur Loucheur, ministre socialiste du Travail, soumet au Docteur Cibrié, secrétaire de la confédération des syndicaux médicaux, un projet de loi qu’il se propose, dans un très bref délai, de déposer au gouvernement, projet instituant un Ordre des Médecins.
Exposée au Conseil des Ministres, cette idée reçut de ses membres une complète approbation. Le projet est repris le 28 décembre 1929 par le député socialiste du Nord, François Lefebvre d’Anzin, dans les termes identiques à la proposition de son collègue Couteaux en 1928.
Le 9 avril 1929, l’Académie de Médecine, saisie de l’opportunité d’ un Ordre des Médecins par les ministres de l’époque, adoptait le vœu du Professeur Victor Balthazard demandant au gouvernement que : « soit soumise aussi rapidement que possible au vote du Parlement la création de l’Ordre des Médecins qui contribuerait à conserver à la pratique médicale son caractère de profession libérale, indispensable à l’intérêt des malades…, seule, une profession obligatoirement organisée peut être la fidèle gardienne de la moralité… et que soit donné régulièrement dans toutes les facultés un enseignement de déontologie, obligatoire pour les étudiants de 1ère et 2ème année » vœu d’ailleurs confirmé le 11 juin 1929…
« il apparaît nécessaire, poursuit le Professeur Balthazard, de compléter la création d’un Ordre des Médecins qui englobera tous les médecins et qui sera pourvu de sanctions suffisantes pour imposer à ceux qui auraient tendance à les méconnaître, les règles déontologiques. Nous avons la conviction que Monsieur Loucheur saura prendre les initiatives nécessaires devant le Parlement, la présente communication ayant pour but de lui apporter l’approbation de l’Académie de Médecine, gardienne des traditions d’honneur du Corps médical français. L’Ordre des médecins sera au point de vue moral, l’ampliation du Syndicalisme médical ».
« Tous les milieux médicaux s’accordent pour adopter un code de déontologie qui est établi depuis longtemps par Lereboullet et Legendre ».
Le principe de la création d’un Ordre des Médecins, la commission repoussant alors définitivement le terme de Collège pour celui de l’ « Ordre », est également adopté à l’unanimité, moins une voix, par la Société de Médecine légale, suivant un rapport présenté par le docteur Liouville le 10 février 1930 et précédemment à l’Association Générale des Médecins de France. C’est sur ce texte ainsi établi que furent fondées les discussions à la Commission de l’Hygiène de la Chambre des Députés.
Le 2 juin 1929, la 2ème assemblée générale de la Confédération des Syndicats médicaux, dans l’esprit de la profession médicale, adopte le texte « considérant que seule la profession obligatoirement organisée peut être la fidèle gardienne de la moralité professionnelle », se déclare partisane d’un Ordre des médecins, et le Docteur Cibrié de conclure : « un ordre des médecins fait sans nous, l’eût été contre nous ».
La chronologie historique des faits rapportés confirme à l’évidence que le projet de la création d’un Ordre des Médecins en accord avec les syndicats médicaux et l’Académie de Médecine date incontestablement de l’année 1929.
En 1930, la confédération des syndicaux médicaux français publie son règlement de déontologie médicale commençant par une énumération des devoirs généraux des médecins. A ce texte comportant 60 articles, était annexé un projet de loi instituant un Ordre des médecins dont l’article 1er prévoyait : « les médecins exerçant sur le territoire français forment dans le département où ils résident un Ordre des Médecins ».
Le 9 décembre 1932, deux rapports, présentés par le député de la Manche, le Docteur Joseph Lecacheux, et soumis à la commission d’hygiène, sont votés par la Chambre des députés et adressés en 1934 à la Commission de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales du Sénat. Le texte de la Commission sénatoriale rapporté par le Docteur Gadaud, sénateur de la Dordogne, se rapproche sensiblement de celui que la Chambre des députés a voté avec quelques modifications, approuvées par la Confédération des Syndicats médicaux lors de son assemblée de décembre 1932.
Le 30 mars 1933, le Docteur P. Dibos, président de la Confédération des Syndicats médicaux écrivait : « Ordre est synonyme de règle, de discipline. Un Ordre des médecins est une discipline obligatoire pour tous les médecins ».
Le 14 février 1935, le Sénat adoptait le texte modifié en le réadressant à la Chambre des Députés avec « le désir formel des médecins de voir aboutir le plus rapidement possible cette loi » (cf. proposition de loi, annexe au procès-verbal de la 1ère séance du 21 février 1935, adoptée par la Chambre des Députés, adoptée avec modifications par le Sénat, « ayant pour but de modifier et de compléter la loi du 30 novembre 1892 en ce qui concerne l’exercice de la médecine).
Ce désir formel des médecins ne devait pas résister à la volonté du Parlement de renvoyer en 2ème lecture ce projet devant la Commission d’Hygiène .
La question se pose de savoir quelle pouvait être la raison de ce renvoi : à l’évidence, on ne peut qu’évoquer la crise politique et sociale de 1936 . Les changements successifs de gouvernements étaient-ils de nature à justifier l’absence du vote et de l’adoption de cette loi au parlement durant plus de 4 ans ? Pour constater qu’en :
Septembre 1939, à la veille de la déclaration de guerre contre l’Allemagne, le texte n’avait toujours pas été voté ni adopté par la Chambre des députés, encombrée par le nombre de propositions soumises alors au gouvernement d’E. Daladier.